Allan Savory nous raconte comment il a compris peu à peu le processus de désertification dans les prairies.
Comme tous il y a quelques années, il croyait à une idée reçue : que le bétail avait un impact très négatif sur la bonne santé des prairies. En apprenant de ses erreurs, il a compris que l’élevage n’était finalement pas un problème et pouvait même devenir une solution si on prend la peine de comprendre et imiter le fonctionnement de la nature.
En condition naturelle, la présence de prédateurs oblige les animaux à bouger constamment et rester en grands groupes. Cela a plusieurs effets:
– l’herbe est « entretenue » (coupée) par le bétail, ce qui est une très bonne chose, car sans cela les graminées vont s’oxyder progressivenent et s’étouffer, laissant le sol nu.
– une grande concentration de nutriments (issus des déjections) est liberée sur place
Les prairies bien géreées font partie des écosystèmes naturel qui n’ont nullement besoin de l’homme pour exister. C’est pour cela que la rotation des pâtures (Managed intensive rotational grazing en anglais) gagne à être utilisée.
Voici la traduction de l’intervention d’Allan Savory en Francais (prise sur le site de TED):
La tempête la plus massive et parfaite est en train de foncer sur nous. Cette tempête parfaite est en train de créer une sombre réalité, une réalité de plus en plus sombre, et nous faisons face à cette réalité avec la pleine conviction que nous pouvons résoudre nos problèmes avec la technologie, et c’est tout à fait compréhensible. Cette tempête parfaite à laquelle nous faisons face est le résultat de l’augmentation de la population qui atteindra les 10 milliards d’êtres humains, des territoires qui se transforment en désert, et, évidemment, du changement climatique.
Il ne fait désormais aucun doute : nous résoudrons seulement le problème de remplacer les combustibles fossiles avec la technologie. Mais les combustibles fossiles, carbone — charbon et gaz — sont loin d’être les seules choses qui contribuent au changement climatique.
La désertification est un joli mot pour les terres qui se transforment en désert, ça n’arrive que lorsque nous créons des sols trop nus. Il n’y a pas d’autres causes. Je vais me concentrer sur la plupart des terres qui se transforment en désert.
Mais j’ai pour vous un message très simple qui offre plus d’espoir qu’on ne peut l’imaginer. Nous avons des milieux où l’humidité est garantie tout au long de l’année. Dans ces milieux, c’est presque impossible de créer de grandes étendues de sol nu. Peu importe ce que vous faites, la nature le couvre très rapidement. Et nous avons des milieux où il y a plusieurs mois d’humidité suivis par plusieurs mois de sécheresse, et c’est dans ces milieux que la désertification apparaît. Heureusement, grâce à la technologie spatiale, on peut les observer depuis l’espace, et en regardant, on peut bien observer les proportions. Généralement, ce que vous voyez en vert ne se désertifie pas, ce que vous voyez en marron si, et ce sont de loin les zones les plus vastes sur Terre. Je dirais qu’environ les deux-tiers du monde se désertifient.
J’ai pris cette photo dans le désert de Tihamah alors que 25 mm – c’est un pouce de pluie — étaient en train de tomber. Imaginez-le en termes de barils d’eau, contenant chacun 200 litres. Plus de 1000 barils d’eau sont tombés sur chaque hectare de ce terrain ce jour-là. Le jour suivant, le terrain ressemblait à ça. Où était partie l’eau ? Une partie est partie sous forme d’inondation, mais la plupart de l’eau qui est tombé sur le sol s’est tout simplement évaporée, exactement comme dans votre jardin si vous laissez le sol à découvert. Maintenant, puisque le sort de l’eau et du carbone sont liés au matériau organique du sol quand on abîme le sol, on libère du carbone. Le carbon retourne dans l’atmosphère.
On vous dit encore et encore, constamment, que la désertification apparaît uniquement dans les zones arides et semi-arides du monde, et que les grandes prairies comme celle-là en cas de grosses précipitations sont sans importance. Si au lieu de regarder les prairies on regardait en dessous on découvrirait que la plupart du sol de cette prairie que vous venez de voir est nu et recouvert d’une croûte d’algue, ce qui augmente les pertes et l’évaporation. C’est le cancer de la désertification que l’on ne reconnaît qu’en phase terminal.
Nous savons désormais que la désertification est provoquée par le bétail, principalement les vaches, les moutons et les chèvres, qui dévorent les plantes, en laissant le sol nu et en libérant du méthane. Presque tout le monde le sait, depuis les lauréats du prix Nobel jusqu’au caddie, ou en a entendu parlé, comme moi. Les milieux comme celui que vous voyez là, des milieux poussiéreux en Afrique où j’ai grandi, et j’adorais la nature, donc j’ai grandi en haïssant les troupeaux à cause des dommages qu’ils causaient. Ensuite ma formation universitaire en tant qu’écologue a renforcé mes croyances.
Et bien j’ai un scoop pour vous. Nous étions tout aussi certains que le monde était plat. Nous avions tort à l’époque et nous avons tort encore une fois. Je voudrais vous inviter maintenant à partir avec moi dans un voyage de rééducation et de découverte.
Quand j’étais un jeune homme, un jeune biologiste en Afrique, j’étais impliqué dans la création de zones protégées en tant que futur parc national. Maintenant pas plus tôt que ça — c’était dans les années 50 — aussi tôt que nous avons supprimé la chasse, en poussant les gens à protéger les animaux, le terrain a commencé à se détériorer, comme vous pouvez le voir dans ce parc que nous avons créé. Aucun élevage n’était impliqué, mais en soupçonnant d’avoir trop d’éléphants, j’ai fait des recherches et prouvé que nous en avions trop, j’ai recommandé de réduire leur nombre et de les ramener au niveau que peut supporter le territoire. C’était pour moi une terrible décision à prendre, et c’était de la dynamite politique, honnêtement. Donc notre gouvernement a formé un groupe d’experts pour évaluer mes recherches. Ils l’ont fait. Ils étaient d’accord avec moi, et les années suivantes, nous avons tué 40 000 éléphants pour essayer d’arrêter les dommages. Et c’est devenu pire, pas mieux. En aimant les éléphants comme je les aime c’était la plus triste et la plus grande erreur de ma vie, et je l’emporterai dans ma tombe. Une bonne chose en est ressortie. Ça m’a rendu extrêmement déterminé à consacrer ma vie à la recherche de solutions.
Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, j’ai eu un choc, en trouvant des parcs nationaux comme celui-là, se désertifiant gravement comme en Afrique. Il n’y avait pas eu de troupeaux sur ces terres pendant plus de 70 ans. J’ai découvert que les scientifiques américains n’avaient pas d’explication pour ça hormis le fait que c’était aride et naturel. J’ai donc commencé à chercher tous les terrains de recherche que je pouvais dans tout l’ouest des Etats-Unis où les élevages avaient été supprimés pour prouver que ça pourrait arrêter la désertification, mais j’ai découvert le contraire, comme on peut le voir avec cette station de recherche, où cette prairie qui était verte en 1961, était devenu comme ça en 2002. Les auteurs des études sur le changement climatique qui m’ont fourni ces photos attribuent ce changement à des « processus inconnus ».
Clairement, nous n’avons jamais compris ce qui cause la désertification, qui a détruit de nombreuses civilisations et qui maintenant nous menace mondialement. Nous ne l’avons jamais compris. Prenez un mètre carré de sol et rendez-le nu comme celui-ci, et je vous promets, il sera beaucoup plus froid à l’aube et plus chaud à midi que ce même morceau de terre simplement recouvert de litière, de litière végétale. Vous avez modifié le microclimat. Au moment où vous faites ça et que vous augmentez le pourcentage de sol nu sur plus de la moitié de la Terre, vous changez le macroclimat. Mais nous n’avons tout simplement pas compris pourquoi ça a commencé à se produire il y a 10 000 ans. Pourquoi s’est-il accéléré récemment ? Nous ne le comprenions pas.
Ce que nous n’avions pas compris c’est que dans ces milieux avec une humidité saisonnière, le sol et la végétation se sont développés avec un très grand nombre d’animaux de pâturage, et que ces animaux de pâturage se sont développés avec des troupeaux de féroces prédateurs. La meilleure défense contre les prédateurs c’est de rester en troupeau, et plus le troupeau est grand, plus les individus sont protégés. Les grands troupeaux crottent et urinent partout sur leur propre nourriture, ils doivent bouger constamment, et c’était ce mouvement qui empêchait le surpâturage des plantes, tandis que le piétinement périodique, assurait une bonne couverture sur le sol, comme on peut le voir là où un troupeau est passé.
Cette image est typique des prairies saisonnières. On vient de traverser quatre mois de pluie qui seront suivi de 8 mois de saison sèche. Et regardez les changements pendant la longue saison sèche. Toutes l’herbe que vous voyez sur le sol doit se dégrader biologiquement, avant la prochaine saison de croissance, si ça ne l’est pas, la prairie et le sol commencent à mourir. Si la dégradation biologique ne se passe pas, elle passe à l’oxydation, qui est un processus très lent, ça étouffe et tue les graminées, conduisant à une végétation ligneuse et à un sol nu qui relâche du carbone. Pour éviter ça, nous avons traditionnellement utilisé le feu. Mais le feu laisse également le sol nu, relâchant le carbone, et pire que ça, brûler un hectare de prairie, libère plus de polluants, plus nocifs que 6000 voitures. Chaque année, nous brûlons en Afrique, plus d’un milliard d’hectares de prairie, et presque personne n’en parle. En tant que scientifiques, nous justifions le brûlis, parce qu’il élimine les matières mortes et permet aux plantes de pousser.
En regardant une de nos prairies qui est devenue sèche, que pouvons-nous faire pour la maintenir saine ? Je parle de la plupart des terres de la planète aujourd’hui, gardons ça à l’esprit. D’accord ? Nous ne pouvons pas réduire le nombre d’animaux pour la faire reposer sans provoquer la désertification et un changement climatique. On ne peut pas la brûler sans provoquer de désertification et de changement climatique. Qu’allons-nous faire ? Il n’y a qu’une option, je vous le répète, une seule option laissée aux climatologues et aux scientifiques, il s’agit de faire l’impensable, et d’utiliser les troupeaux, en groupe et se déplaçant, pour remplacer les anciens troupeaux et prédateurs, et d’imiter la nature. Il n’y a pas d’autre alternative laissée à l’humanité.
Faisons donc ça. Donc sur ce petit bout de prairie, nous le ferons, juste au premier plan. Nous agirons très lourdement avec des troupeaux pour imiter la nature, nous l’avons fait, et regardez. Toutes ces herbes couvrent maintenant le sol comme les crottes, les urines et le paillis, tous les jardiniers parmi vous le comprendront, ce sol est prêt à absorber et retenir la pluie, pour stocker du carbone et détruire le méthane. Nous l’avons fait, sans utiliser le brûlis qui endommage le sol et les plantes sont libres de pousser.
Quand j’ai compris au début que nous n’avions pas d’autres options en tant que scientifiques que d’utiliser l’élevage tant diabolisé pour aborder le changement climatique et la désertification, j’étais face à un vrai dilemme. Comment allions-nous faire ? Nous avions eu 10 000 ans d’éleveurs extrêmement bien informés empaquetant et déplaçant leurs animaux, mais ils avaient créé eux-même les grands déserts de ce monde. Ensuite nous avons eu 100 ans de science moderne sur la pluie, et ça avait accéléré la désertification, comme on l’a vu en Afrique et confirmé ensuite aux Etats-unis, et comme vous pouvez le voir sur cette image de terres gérées par le gouvernement fédéral. Clairement, on avait besoin de plus que de regrouper et déplacer les animaux, et les humains, pendant des milliers d’années, n’ont jamais été capables de gérer la complexité de la nature. Mais nous, les biologistes et écologistes n’avions jamais abordé quelque chose d’aussi complexe que cela. Donc au lieu de réinventer la roue, j’ai commencé à étudier les autres métiers pour voir si quelqu’un d’autre l’avait déjà fait. J’ai trouvé qu’il y avait des techniques de planification que je pouvais prendre et adapter à nos besoins biologiques et grâce à ça j’ai développé ce qu’on peut appeler le management holistique et les pâturages planifiés, un processus planifié, abordant les problèmes de complexité de la nature et notre complexité sociale, environnementale et économique.
Aujourd’hui, il y a des jeunes femmes comme celle-ci qui enseigne dans les villages en Afrique comment rassembler les animaux dans des troupeaux plus grands, comment planifier leurs pâturages pour imiter la nature, et là où nous gardons les animaux la nuit — nous les gérons de manière à ce qu’il n’y ait pas de problèmes avec les prédateurs, parce qu’il y a beaucoup de terres, et ainsi de suite — et là où ils font ça, et ils les gardent pendant la nuit pour préparer les champs de culture, le rendement des récoltes augmentent aussi beaucoup.
Regardons quelques résultats. Ces territoires sont proches de ceux dont on s’occupe au Zimbabwe. On vient de traverser 4 mois de très bonnes précipitations qu’on a eu cette année-là, et on approche la longue saison sèche. Mais comme vous pouvez le voir, toute cette pluie, presque toute, s’est évaporée de la surface du sol. Leur rivière est sèche malgré la pluie qui vient de tomber, et il y a 150 000 personnes sous aide alimentaire quasi-constante. Maintenant retournons à notre terrain près de là le même jour, avec les mêmes précipitations, et regardez ça. Notre rivière coule, elle est saine et propre. C’est bien. La production d’herbes, de buissons, d’arbres, de nature, tout est maintenant plus productif, et nous n’avons plus peur des années de sécheresse. Nous avons fait ça en augmentant les troupeaux de boeufs et de chèvres de 400 pour-cent, planifiant les pâturages pour imiter la nature et en les intégrant avec tous les éléphants, les buffles, les girafes et les autres animaux que nous avons. Mais avant de commencer, nos terres ressemblaient à ça. Le site était nu et s’érodait depuis plus de 30 ans indépendamment de la pluie que nous avions. D’accord ? Regardez les arbres marqués et observez le changement en utilisant les troupeaux pour imiter la nature. Voici un autre site qui était nu et s’érodait, à la base du petit arbre marqué, nous avions perdu plus de30 centimètres de sol. D’accord ? Encore une fois, regardez le changement en utilisant simplement les troupeaux qui imitent la nature. Il y a des arbres tombés maintenant, parce que le terrain est meilleur et attire les éléphants. Ces terres au Mexique étaient dans un état terrible, j’ai dû indiquer la colline parce que le changement est si profond.
(Applaudissements)
J’ai commencé à aider une famille dans le désert du Karoo dans les années 70, pour transformer le désert que vous voyez sur la droite ici en prairie, et heureusement, maintenant leurs petits-enfants sont sur les terres avec de l’espoir pour le futur. Regardez cette incroyable transformation sur cet exemple, où ce ravin est complètement cicatrisé n’utilisant rien d’autre que des troupeaux imitant la nature, et une fois de plus, nous avons la troisième génération de cette famille sur cette terre avec leur drapeau toujours au vent.
Les grandes étendues de Patagonie se transforment en désert comme vous pouvez le voir ici. L’homme au milieu est un chercheur argentin, il a documenté le déclin constant de ce territoire pendant des années alors qu’on diminuait constament le nombre de moutons. Ils ont placé 25 000 moutons dans un troupeau, mimant vraiment la nature avec des pâturages planifiés, ils ont enregistré une augmentation de 50 % de la production du territoire la première année.
Nous avons maintenant, dans la violente Corne de l’Afrique des bergers qui planifient leurs pâturages afin d’imiter la nature en disant ouvertement que c’est la seule chance qu’ils ont de sauver leurs familles et leur culture. Quatre-vingt-quinze pour-cent de ces terres ne peuvent nourrir les gens qu’avec des animaux.
Je vous rappelle que je parle de la plupart des territoires du monde qui contrôle notre destin, y-compris les régions les plus violentes du monde, où seuls les animaux peuvent nourrir les gens d’à peu près 95 pour-cent du territoire. Ce que nous faisons à l’échelle mondiale provoque le changement climatique autant, je le crois, que les combustibles fossiles, et peut-être plus que les combustibles fossiles. Mais bien pire que ça, ça provoque les famines, la pauvreté, la violence, les conflits sociaux et la guerre, et pendant que je vous parle, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent et meurent. Et si ça continue, nous serons incapables d’arrêter le changement climatique, même après avoir éliminé l’utilisation des combustibles fossiles.
Je pense vous avoir montré comment on peut travailler avec la nature à des coûts très bas pour inverser tout ça. Nous l’avons déjà fait sur environ 15 millions d’hectares sur les 5 continents, et les gens qui en savent beaucoup plus mieux que moi sur le carbone, ont calculé que, dans un but illustratif, si nous faisions ce que je vous ai montré ici, nous pourrions capturer assez de carbone de l’atmosphère et le conserver précieusement dans les sols des prairies pour des milliers d’années, et si on le fait seulement sur la moitié des prairies du monde que je vous ai montré, on pourrait revenir au niveau de l’ère pré-industriel, tout en nourrissant les gens. Je ne vois absolument rien d’autre qui offrirait plus d’espoir à notre planète, pous vos enfants, leurs enfants et toute l’humanité.
Merci.
(traduction d’Elise LECAMP)
Une bonne partie du salut de l’humanité vient de m’être expliquée et ça n’a pas l’air très difficile ! Merci à Allan Savory !
Si on arrêtait d’exploiter les animaux: ils seraient naturellement dans ces prairies. Ce processus se ferait naturellement, sans avoir besoin de faire de la planification de pâturage.